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Carnet de campagne de Cochinchine de Jean François Lacour (Carnet 1)

Expédition de l’Indo-Chine 1857 - 1858 - 1859

dimanche 12 avril 2009

J.F. Lacour Campagne de Cochin-chine 1er carnet qui relate son long périple en bateau pour rejoindre Saigon

L’édifice le plus curieux est sans contredit la pagode chinoise située sur le quai de la petite rade. La photographie seule pourrait en donner une idée et le dessin le plus fini ne pourrait rendre les sculptures qui couvrent toutes les pièces de la charpente, les flux des colonnes, les murailles etc., et les mille fioritures qui décorent le toit du bâtiment principal et des ailes latérales. Un jeune hollandais en faisait une vue intérieure à l’aquarelle ; il n’était pas fort avancé quand nous l’avons vu ; mais je doute, malgré la persévérance et la patience naturelle à la nation, qu’il mène son œuvre à bonne fin. Pour mon compte je ne me sentais pas de force à l’essayer et je n’avais pas assez de temps devant les mains. L’ensemble des bâtiments est indiqué à ce croquis fait de mémoire :

Une sorte de bonze ou prêtre nous donna une représentation car les exercices n’ont aucun caractère religieux et les Chinois spectateurs comme nous ne paraissaient pas y attacher plus de religion que nous.

L’officiant prenait sur l’autel un vase plein de petites baguettes à l’extrémité desquelles était écrit un caractère ou un numéro, il secouait le vase en le faisant tourner et accompagnait ce mouvement d’une sorte de chanson nasillarde et monotone.

Les baguettes sortaient peu à peu du vase et enfin l’une d’elles dépassait franchement les autres. Il s’arrêtait alors, regardez le caractère, chercher dans un livre quelque complainte en rapport avec le caractère gravé sur la baguette et la chantait sur le même ton.

Il prit ensuite de morceaux de bois semblables pour la forme à une fève blanche fendue en deux et de 12 à 15 cm de long. Il les jeta plusieurs fois à l’air et observa avec attention si ils tombaient sur le côté plat ou sur celui bombé et de là il tirait des pronostics sur je ne sais quoi. Après cette opération il posa le tout sur l’autel et nous offrit du thé et de la bière.

Les pagodes en Chine sont de vrais restaurants ; on y trouve toujours à boire et à manger. Nos missionnaires le savent bien et en profitent dans leur voyage ; mais en cela il se garde bien d’imiter les Chinois. À côté nous visitâmes une tour Hexagone à trois étages, annexe de la pagode, historiée et travaillée comme elle. Au milieu des magnifiques sculptures et des détails charmants de la pagode, ce que les Chinois semblent estimer le plus, sont deux lions assez informes taillées dans le granit. L’un d’eux à la bouche ouverte et le sculpteur a conservé dans la gueule une boule en pierre qui tourne librement sans en pouvoir sortir.

Les colonnes en granit avec leurs plantes grimpantes enlacées de serpents et de lézards fabuleux, m’ont semblé bien autrement remarquables. Nous avons visité les quartiers chinois, comme des écoliers en vacances ; entrant dans les maisons et les boutiques, touchant à tout, faisant des niches aux chinois jeunes ou vieux, riant avec eux et en braves gens nous laissaient faire et ne paraissaient pas contrariés. Ils nous aiment mieux que les Anglais qui ne leur parlent qu’à coups de trique et rient chaque fois qu’il leur tombe un œil.

Grâce aux soins de nos deux nouveaux amis, nous avons fait, dans leurs voitures (ici on ne va qu’en voiture, chacun à la sienne pour une piastre par jour) quelques charmantes promenades aux environs. Le nouvel embarcadère des [ ] est véritablement un modèle de propreté et de confort ; nos arsenaux les mieux tenus sembleraient sales à côté de ces établissements.

On parle beaucoup de serpents et de tigres dans la petite île de Singapour ; mais nous n’avons aperçu ni l’un ni l’autre. Il est vrai de dire que nous n’avons pas assez battu la campagne pour avoir cette récréation, si toutefois se peut en être une. Pendant presque toute l’année il fait très chaud ici et on ne se promène pas dans la journée.

Le soir de 5 ½ à 6 ½ tout ce beau monde fait la promenade sur une petite savane au bord de la mer. Entre l’avenue où toutes les voitures vont et viennent et la première rue se trouve une charmante pelouse, destiné au noble jeu du criquet, espèce de jeu de paume déguisé à l’anglaise. À cette promenade nous avons pu voir presque toutes les dames européennes de l’endroit est en outre quelques dames [ ] et enfants, entre autres une arménienne qui ne manquait pas d’intérêt. La police à Singapour est parfaitement assurée par les brigades de policemen presque tous d’origine indienne ou malaise ; les troupes sont peu nombreuses : quelques compagnies anglaises et des cipayes suffisent à tenir en respect une population considérable. La ville elle-même compte environ 55 000 habitants ; mais il est fort difficile de connaître le nombre de Chinois qui habitent dans les barques soit sur la rivière, soit sur rade. Cette population flottante dans l’acception complète du mot, est au moins égale à celle de la ville. La vie semble facile et peu coûteuse pour les gens du peuple et les Chinois, il n’en est pas de même pour les gens qui vivent à l’hôtel et les prix du Cap nous semblent fort doux par comparaison. La bière augmente avec la latitude et nous coûte maintenant un demi-dollar la bouteille. Et pour surcroît de bonheur nos pièces de 20 francs françaises ne valent que trois dollars et un quarter. Tout est fort cher et nos achats ici se bornent à quelques [ ] et quelques bagatelles.


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